Maja brachydactyla, l'araignée de mer...
... l'Alien de notre littoral va muer sous vos yeux !
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Au début de son histoire, après l'éclosion de l'œuf et le stade larvaire, la Maja brachydactyla ne mesure que 2 à 3 mm. Elle va vivre 7 à 8 ans, et grandir jusqu'à faire de 8.5 cm à 20 cm avec un poids variant de 250 g à 3 kg ! Cet écart de taille phénoménal entre adulte du même âge est probablement dû au nombre de mues que l'araignée a eu le temps de faire avant le premier hiver de son existence...
Car, comme tous les crustacés, sa croissance se fait par mues successives ; une fois atteint la maturité sexuelle, à l'âge de 2 ans environ, elle ne grandit plus (contrairement à la plupart des autres crustacés qui, eux, poursuivent leur croissance tout au long de leur vie).
On imagine aisément un serpent laissant sa vieille peau derrière lui, mais l'araignée et ses 10 pattes, comment fait-elle ? Réponse avec la vidéo ci-dessous (d'après les informations données, c'est une variété d'araignée de mer géante, mais le principe de la mue est le même ; le processus dure plusieurs heures, mais vous allez le voir en accéléré en 51").
Âmes sensibles, regardez cette vidéo assis !...
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Notre araignée à nous (Maja brachydactyla) mue de cette façon entre 11 et 13 fois la première année, et 2 fois au cours de la seconde.
Juste après la mue, sa carapace molle est entièrement recouverte (corps et pattes) de soies adhésives sur lesquelles elle pose, à l'aide de ses pinces, quantité de petits morceaux d'algues, d'anémones de mer, etc. ; ainsi camouflée, enfouie en partie dans le sable, ses prédateurs (homards, poulpes...) la frôleront sans la voir.
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Une fois la carapace durcie, elle se promenera plus sereinement aux alentours pour se nourrir (elle a un régime alimentaire omnivore-opportuniste, autrement dit : elle fait avec ce qu'elle a !), et c'est là qu'entrent en scène les Méchants : d'abord le méchant pêcheur, puis les méchants consommateurs qui se régaleront (14' à l'eau bouillante non salée, miam !) de cette araignée juvénile (appelée mousse en presqu'île, et également moussette ailleurs). Il faut dire qu'elle n'est pas très maline, tout le temps de sa jeunesse elle reste à proximité des côtes, alors évidemment... |
Ensuite, au seuil de son 2e hiver, après l'ultime mue, elle est devenue grande et va pouvoir connaître les joies de la reproduction. Avec toute sa bande, elle s'éloigne des humains et de la surface (de 40 à 90 m de profondeur) et passera l'hiver à copuler (!). À ce sujet, signalons que Madame est vorace et prévoyante : on a constaté qu'elle stockait le sperme de plusieurs mâles (jusqu'à une dizaine), lequel resterait viable pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
L'observation d'un accouplement est fascinant à observer (et source de méditation intense) pour l'homo erectus classicus machus : les 2 individus sont parfaitement immobiles, et monsieur est en dessous...*
Les individus ci-contre ont choisi comme lit de noces des anémones-bijoux (Corynactis viridis) habituellement épanouies mais ici refermées, sûrement pour ne pas voir ça... |
Et puis c'est le printemps, et le retour vers la côte. Madame pondra alors, 2 à 4 fois, de 50.000 à 500.000 œufs qu'elle gardera sous son abdomen 4 à 8 semaines.
Et tout recommencera...
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Pour finir, une curiosité : les plongeurs observent régulièrement, dans les eaux peu profondes, un "tas" de plusieurs dizaines d'araignées de mer (les étoiles de mer font la même chose). Elles se constituent probablement une protection contre les prédateurs potentiels, mais on n'en est pas sûr : elles n'ont pas encore communiqué clairement à ce sujet...
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* de nombreuses observations rapportent ce fait, et nous n'en avons pas trouvé rapportant l'inverse !
sources de documentation : DORIS, pour les araignées de mer et les anémones + thèse de doctorat de N. Bodin |